Face à la grave crise sanitaire que traverse actuellement le pays, le gouvernement a pris diverses mesures, notamment financières, afin de soutenir les entreprises en difficulté et prévenir une crise économique naissante. Dans ce contexte et dans une démarche solidaire, le versement de dividendes et le rachat d’actions pourraient être interdits aux grandes entreprises ayant bénéficié des aides financières de l’Etat.
COVID 19 – Interdiction de versement de dividendes et de rachat d’actions pour les grandes entreprises, qu’en est-il ?
Face à la grave crise sanitaire que traverse actuellement le pays, le gouvernement a pris des mesures afin de soutenir les entreprises en difficulté en leur permettant notamment de percevoir des aides financières, de reporter leurs échéances fiscales et sociales ou encore, en instaurant un système de prêt garanti par l’État.
Ces mesures doivent permettre de soutenir l’économie afin d’éviter que ne succède une crise économique à la crise sanitaire actuelle.
Pour autant, le Ministre de l’Économie et des Finances a rappelé que ces mesures ne devaient pas permettre à certains d’en « tirer profit » et que « l’accès au soutien de trésorerie de l’État serait interdit à ceux qui versent des dividendes ».
Le raisonnement est le suivant : les entreprises qui disposent d’une trésorerie suffisante pour rémunérer leurs actionnaires, disposent de facto de la trésorerie nécessaire au règlement de leurs impôts, cotisations et factures et ne sauraient donc bénéficier du soutien financier de l’État en cette période de crise.
Dans ces conditions et bien qu’aucun texte n’ait encore été publié au Journal Officiel sur ce sujet, le gouvernement a communiqué un document informatif intitulé « Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesure de soutien en trésorerie », définissant les contours d’une possible loi à venir (Parallèlement, une proposition de loi sur le sujet a été déposée le 07 avril dernier par le député Boris VALLAUD et les membres du groupe socialiste).
Le document fourni par le gouvernement précise le champ d’application de l’interdiction énoncée.
Ainsi, les grandes entreprises ayant demandé et obtenu un report d’échéances fiscales et sociales et/ou bénéficié d’un prêt garanti par l’État, devront s’engager à :
• Ne pas verser de dividendes (en numéraire ou en actions) en 2020 à leurs actionnaires en France ou à l’étranger
• Ne pas procéder à des rachats d’actions au cours de l’année 2020
A défaut, les entreprises devront rembourser les sommes perçues au titre de la solidarité nationale dans le cadre de l’urgence sanitaire.
Quelles entreprises sont visées par cet engagement ?
Les entreprises concernées sont les grandes entreprises, sous forme d’entreprise indépendante ou sous forme de groupe d’entités liées.
La définition du groupe est entendu comme celle retenue pour l’intégration fiscale, c’est-à-dire en pratique, les entreprises détenues directement ou indirectement à 95% par une société tête de groupe.
Les grandes entreprises sont celles qui :
• Ont employé au moins 5000 salariés au cours du dernier exercice clos
OU
• Ont généré un CA consolidé supérieur à 1,5 Milliard d’euros en France au cours du dernier exercice clos
Quelles opérations sont concernées ?
Seules sont concernées par l’engagement les opérations de distribution de dividendes ou de rachat d’actions qui auront été décidées par l’organe compétent après le 27 mars 2020 .
Les grandes entreprise demeurent ainsi éligible aux mécanismes de soutien en trésorerie proposés par le gouvernement si ces opérations ont été décidées avant le 27 mars, quand bien même le versement de dividendes ou du prix du rachat interviendrait postérieurement au 27 mars 2020.
Par ailleurs, les entreprises qui ont une obligation légale de versement des dividendes ne sont pas concernées par ce dispositif.
Enfin, il est à noter qu’en l’état actuel du document, les entreprises ayant bénéficié des mesures de soutien financier accordées par l’État au titre du chômage partiel ne seraient pas visées par cette mesure d’interdiction
Qu’entend-on par dividendes ? Toutes les distributions sont-elles visées ?
Les dividendes s’entendent des sommes versées en numéraire ou en action aux actionnaires de l’entité/du groupe (en ce compris les acomptes sur dividendes et les distributions exceptionnelles de réserves).
Les distributions intragroupes demeureront possibles, lorsqu’elles ont pour effet au final de soutenir financièrement une société́ française (notamment lui permettre de respecter ses engagements contractuels vis-à-vis de ses créanciers). Les distributions réalisées par les entités étrangères du groupe au profit des entités françaises de celui-ci ne remettent pas en cause les aides demandées par ces dernières.
Qu’entend-on par rachat d’actions ? Tous les rachats d’actions seront-ils interdits ?
Les rachats d’actions permettent à une entreprise de réduire son capital à hauteur de la participation d’un actionnaire. L’entreprise qui décide de racheter les actions de l’un de ses actionnaires doit avoir une trésorerie suffisante pour y procéder. Pour cette raison, le gouvernement a décidé d’inclure le rachat d’actions au rang des opérations visées par l’interdiction.
Sont notamment interdits les rachats d’actions effectués en vue d’une réduction de capital (par rachat de titres ou par réduction du nominal) non motivée par des pertes et à des fins de gestion financière.
[Il semble néanmoins, par une interprétation à contrario du document, que le rachat d’actions en vue d’une réduction de capital motivée par des pertes ou à des fins autres que de gestion financières demeurerait possible].
En revanche, les rachats d’actions destinés à l’attribution d’actions aux salariés, ainsi que ceux destinés à l’exécution d’un engagement juridique antérieur au 27 mars 2020 (par exemple, au titre d’une valeur mobilière donnant accès au capital), seraient possibles.
Les rachats d’actions effectués dans le cadre d’une opération de croissance externe seraient autorisés, à condition qu’ils soient nécessaires et que l’opération de croissance externe ait fait l’objet d’un engagement juridique de la société́ antérieur au 27 mars 2020.
Comment se matérialise l’engagement ?
• Concernant le report d’impôt directs : l’entreprise devra s’engager en remplissant le formulaire de demande de report sur le site impôts.gouv.fr
• Concernant les reports de cotisations sociales : l’entreprise s’engagera par simple mail à l’attention de l’URSSAF (pour les groupes, c’est l’entreprise tête de groupe qui prendra l’engagement).
• Pour les prêts garantis par l’État : une clause résolutoire sera introduite dans le contrat de prêt au moment de l’instruction de la demande de prêt par les services du ministère de l’économie et des finances.
Pour les groupes, cet engagement couvre l’ensemble des entités et filiales françaises du groupe considéré́, quand bien même seules certaines de ces entités ou filiales bénéficieraient d’un soutien en trésorerie.
Quelles sanctions ?
En cas de non-respect de l’engagement, le versement de dividendes ou le rachat d’actions ne seraient pas nuls.
En revanche, les impôts et cotisations sociales reportés ainsi que le prêt garanti par l’État devront être réglés/remboursés immédiatement, et seront augmentés des majorations et pénalités de retard applicables.
Quid de la proposition de loi présentée le 07 avril 2020 à l’assemblée nationale ?
Cette proposition de loi présentée par le groupe socialiste à l’assemblée nationale diffère sensiblement de la mesure annoncée par le gouvernement.
En substance, la proposition de loi présentée vise à « inscrire dans la loi l’engagement demandé par le ministre de l’économie et des finances aux entreprises concernées » en « interdisant le versement de dividendes à ces sociétés en 2020, quelle que soit leur forme juridique, dès lors qu’elles ont bénéficié d’aides directes et indirectes de l’Etat ».
Cette loi viserait les sociétés dont le total de bilan est supérieur à 20 millions d’euros ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros en 2019.
Ces dernières se verraient interdire toute distribution de dividendes (le contrôle de rachat d’actions serait prévu par une autre proposition de loi) sous quelque forme que ce soit dès lors qu’elles auraient bénéficié d’au moins une aide publique (notamment fonds de solidarité, délais de paiement des échéances sociales et/ou fiscales, prêt garanti par l’état, report de paiement des loyers et factures et prise en charge de l’activité partielle).
La sanction en cas d’infraction à l’interdiction serait double :
– Nullité de la délibération ayant décidé du versement des dividendes (que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la loi)
– Paiement d’une amende équivalente au montant des dividendes indument versés, majorée d’une pénalité correspondant à 5% du chiffre d’affaires mondial consolidé.
La sanction envisagée est donc bien plus lourde dans le cadre de cette proposition de loi (annulation des délibérations et amendes) que celle envisagée par le gouvernement (remboursement des aides perçues et pénalités de retard en cas d’infraction).
Cette proposition de loi doit être présentée en commission des lois tout prochainement.
Cette mesure est-elle conforme aux principes constitutionnels et au droit européen ?
La question mérite d’être posée…
En effet, si le devoir de solidarité qui sous-tend ces mesures se comprend aisément, il doit nécessairement être mis en perspective avec nos principes constitutionnels et droits fondamentaux et plus encore avec les normes européennes.
A ce titre, l’interdiction (stricte) de versement des dividendes telle qu’elle ressort de la proposition de loi susvisée pose de sérieuses questions de sécurité juridique (remise en cause rétroactive des décisions de distribution) et semble s’inscrire en totale contradiction avec des principes constitutionnels tels que, notamment, la liberté d’entreprendre, ou de façon plus générale, le droit de propriété. Elle parait dans le même sens difficilement justifiable au regard du principe européen de libre circulation des capitaux.
L’interdiction de versement des dividendes et de rachat d’actions telle qu’envisagée par le gouvernement (ayant pour sanction le remboursement des aides perçues), bien que plus souple, laisse pareillement perplexe au regard de nos principes constitutionnels et européens et devra faire l’objet d’une étude plus approfondie.
En conclusion, l’interdiction de versement de dividendes et de rachat d’actions n’est pour l’heure pas inscrite dans un texte officiel et se matérialise uniquement par un « engagement » spontané des sociétés visées. Le texte devrait toutefois être rapidement publié et il conviendra alors d’être attentif à son contenu afin de le mettre en perspective par rapport à nos principes constitutionnels et européens.
Certaines mesures de restriction de versement des dividendes ont en effet déjà par le passé, notamment en matière fiscale (taxe 3%), fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel. L’expérience nous invite ainsi à la prudence..
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