Prévue initialement par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« loi AGEC »), avec une application au plus tard à la date du 1er janvier 2023, la fin de l’impression et de la suppression automatique des tickets de caisse tarde à être mise en œuvre.
Le décret d’application de cette disposition n’a été publié que le 14 décembre 2022 et son entrée en vigueur est finalement prévue au 1er avril 2023. Au-delà de l’aspect opérationnel, et des contraintes techniques que cette suppression peut engendrer pour les professionnels, ce changement soulève de nombreux questionnements quant au respect des droits des consommateurs en matière de données personnelles et aux précautions et mesures qui devront être mises en place par les professionnels à cet égard.
Les modalités de mise en œuvre de l’interdiction de l’impression et de la distribution systématique des tickets de caisse et autres
L’article L541-15-10 IV du Code de l’environnement prévoit qu’« Au plus tard le 1er janvier 2023, sauf demande contraire du client, sont interdites :
1. L’impression et la distribution systématiques de tickets de caisse dans les surfaces de vente et dans les établissements recevant du public ;
2. L’impression et la distribution systématiques de tickets de carte bancaire ;
3. L’impression et la distribution systématiques de tickets par des automates ;
4. L’impression et la distribution systématiques de bons d’achat et de tickets visant à la promotion ou à la réduction des prix d’articles de vente dans les surfaces de vente. »
Cette interdiction s’applique tous secteurs confondus et a donc une portée générale. Elle ne pourra être écartée que dans l’hypothèse où le consommateur demande que son ticket soit imprimé.
Sont par conséquent concernés par cette interdiction les tickets remis aux consommateurs lors de transactions réalisées directement au sein des points de vente et hors e-commerce, qu’il s’agisse des tickets de caisse en magasin, des tickets de carte bancaire ou remis par des automates, ou encore des bons d’achat et des tickets visant à la promotion ou à la réduction des prix d’articles en magasin.
Bien évidemment, cela ne signifie pas pour autant que les professionnels doivent s’abstenir de conserver les preuves d’achat. D’une part, ils doivent être en mesure de faire droit aux demandes des clients qui souhaitent obtenir la fourniture de leur ticket d’achat en version papier, la loi prévoyant une exception à l’interdiction en cas de « demande contraire du client ». D’autre part, par défaut, les opérateurs économiques devront alors fournir les tickets de caisse dans un format numérique en lieu et place des tickets en version papier. L’envoi interviendra en dématérialisé par SMS, par e-mail, par message dans l’application bancaire de l’acheteur, ou encore par QR code, ce qui suppose de recueillir des données personnelles de l’acheteur, et pose indéniablement des questions en matière de protection des données.
A cet égard, et pour éviter toute confusion pour le consommateur, le décret d’application du 14 décembre 2022 est venu mettre à la charge des professionnels une obligation d’affichage près des caisses ou des automates par laquelle apparait de manière lisible et compréhensible la mention selon laquelle « sauf exception légale, l’impression et la remise des tickets de caisse et de carte bancaire ne sont réalisées qu’à sa demande. ».
Par ailleurs, le décret d’application n° 2022-1565 du 14 décembre 2022 prévoit plusieurs exceptions pour lesquelles l’interdiction de l’impression des tickets de caisse ne s’applique pas :
- les tickets de caisse relatifs à l’achat de biens dits « durables » tels que les appareils électroménagers ou équipements informatiques sur lesquels figurent l’existence et la durée de la garantie légale de conformité en application de l’article D211-7 du code de la consommation ;
- les opérations de paiement par carte bancaire annulées, n’ayant pas abouti, ou soumises à un régime de pré-autorisation ou faisant l’objet d’un crédit, qui donnent lieu, pour des raisons de sécurité, à l’impression d’un ticket remis au consommateur ;
- les tickets émis par des automates dont la conservation et la présentation sont nécessaires pour bénéficier d’un produit ou d’un service et permettre, le cas échéant, le calcul du montant dû en contrepartie ;
- les tickets de caisse ou autres documents de facturation, imprimés par les instruments de pesage à fonctionnement non automatique. Il s’agit par exemple des balances mises à disposition des consommateurs dans les grandes surfaces.
Focus sur le respect des obligations en matière de traitement données à caractère personnel
En dehors des exceptions légales énumérées précédemment, lors du passage en caisse, les commerçants devront recueillir les données à caractère personnel des consommateurs afin de pouvoir leur transmettre les différents tickets. Sur ce point, le décret du 14 décembre 2022 ne fait aucunement référence aux données à caractère personnel qui peuvent être collectées.
Pourtant, l’envoi du ticket en version numérique, notamment par SMS ou par email, ne peut être effectué sans collecter une information de contact du consommateur qui ne peut être qu’une adresse courriel ou un numéro de téléphone, informations qui sont indiscutablement des données à caractère personnel.
L’interdiction de l’impression des tickets de caisse crée donc une nouvelle typologie de traitement de données à caractère personnel ayant pour base légale, conformément à l’article 6 c) du Règlement (UE)n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, (ci-après le « RGPD »), la nécessité du respect de l’ obligation légale prévue à l’article L541-15-10 du Code de l’environnement. Ce traitement ne sera en effet pas basé sur le consentement du consommateur puisque la loi prévoit par défaut que le consommateur consent au traitement et qu’à défaut le traitement n’est pas autorisé puisque le ticket sera alors imprimé.
Compte tenu de ce qui précède, il conviendra de prévoir des modalités de traitement adaptées à cette base légale et la finalité correspondante afin d’en assurer sa licéité. Nous reviendrons ci-dessous sur deux manifestations de cette contrainte dont le respect est essentiel.
En premier lieu, il conviendra conformément au principe de minimisation des données prévu à l’article 5 c) du RGPD de ne collecter que les données nécessaires afin de transmettre le ticket en version numérique, c’est-à-dire uniquement un numéro de téléphone ou une adresse email ainsi que les noms et prénoms de la personne concernée. Cette interdiction de l’impression des tickets de caisse ne saurait autoriser les détaillants à exiger des consommateurs qu’ils transmettent d’autres données à caractère personnel (adresse postale, date de naissance).
A fortiori, l’interdiction de l’impression des tickets de caisse n’autorise aucunement les professionnels à utiliser les données ainsi collectées pour d’autres finalités que l’envoi du ticket de caisse comme par exemple à des fins de prospection commerciale et d’alimentation de leurs fichiers CRM. De la même manière les détaillants ne seront aucunement autorisés à systématiquement créer des comptes fidélité pour l’ensemble de leurs clients, les programmes fidélité constituant une finalité autre que celle du respect des dispositions du Code de l’environnement.
En second lieu, il conviendra conformément à l’article 5 e) du RGPD de ne conserver les données collectées que pour la durée nécessaire à la transmission du ticket au consommateur. Dans une interprétation stricte, cette durée devrait être très courte et il pourrait être considéré que les données collectées doivent être supprimées dès la réception du ticket en version numérique par le consommateur. Toutefois cette durée pourrait être insuffisante pour permettre au détaillant de démontrer qu’il a respecté son obligation de transmettre un ticket de caisse au consommateur. En tout état de cause, une conservation en archivage intermédiaire pourrait être nécessaire. La détermination de la durée de conservation des données collectées afin de transmettre les tickets de caisse aux consommateurs en version numérique doit donc faire l’objet d’une analyse attentive au cas par cas.
Outre ces points d’attention, les détaillants devront se conformer à l’ensemble des obligations du RGPD concernant ce nouveau traitement, et notamment l’obligation de sécurité ou celle d’informer des personnes concernées des finalités du traitement qu’ils mettent en œuvre et du respect de leurs droits.
Consciente de cette difficulté, la CNIL a indiqué qu’elle se prononcerait prochainement sur les modalités de mise en œuvre de ce traitement. Il ne reste donc plus qu’à espérer que ces éclaircissements interviennent avant le 1er avril 2023. Dans l’attente, il est fortement recommandé de ne pas attendre, et de réfléchir d’ores et déjà aux dispositifs de sécurisation en interne des données personnelles qui seront recueillies.
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