
Après les évolutions réglementaires majeures, la jurisprudence en matière d’urbanisme continue d’évoluer à un rythme soutenu. Plusieurs décisions rendues récemment par le Conseil d’État et les cours administratives d’appel viennent préciser des principes essentiels : approbation des PLU, impartialité du maire, travaux sur constructions inachevées, portée des OAP, effets du certificat d’urbanisme…
1 – Contentieux de l’approbation du PLU
CE, 27 janvier 2025, n°490508 : les éventuelles irrégularités affectant la délibération arrêtant le projet de PLU sont sans incidence sur la légalité de celle l’approuvant
📔 Les faits : La requérante contestait la délibération du 21 janvier 2021 par laquelle le conseil municipal de La Trinité a approuvé la révision du PLU, classant sa parcelle en N1. Selon elle, la délibération arrêtant le projet de PLU était irrégulière, ce qui devait entrainer l’illégalité de celle approuvant le PLU.
La question soumise au Conseil d’État était donc la suivante : Une irrégularité affectant la délibération arrêtant un projet de PLU peut-elle entraîner l’illégalité de la délibération approuvant définitivement ce PLU ?
🧑⚖️ Le principe : Le Conseil d’État y a répondu par la négative. Selon lui, « les éventuelles irrégularités affectant la délibération arrêtant le projet de plan sont sans incidence sur la légalité de la délibération approuvant le plan ».
Selon la Haute Juridiction, les spécificités propres à la procédure d’élaboration ou de révision du PLU impliquent que le conseil municipal doit nécessairement se prononcer sur le contenu du plan lors de son adoption définitive, et, l’absence d’effet propre de la délibération arrêtant le projet de plan justifie que son éventuelle irrégularité ne puisse être transposée à l’acte d’approbation du PLU.
⏭️ Le Conseil d’État applique ainsi aux délibérations portant sur le projet de plan la jurisprudence Danthony, selon laquelle un vice de procédure n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s’il a privé les intéressés d’une garantie.
Déjà, par une décision du 5 mai 2017 (Commune de Saint-Bon-Tarentaise, n° 388902), il avait refusé d’annuler l’approbation d’un PLU pour des moyens soulevés par voie d’exception à l’encontre de la délibération arrêtant le projet de plan.
Par la présente décision, il confirme donc cette orientation en rejetant un recours par voie d’action dirigé contre la délibération approuvant un plan local d’urbanisme.
2 – Impartialité du maire et permis de construire
CAA Douai, 5 juillet 2024, n°23DA00195 : l’opposition notable et connue du maire à un projet ne démontre pas de façon automatique une partialité entrainant l’illégalité du refus de permis de construire
📔 Les faits : Un maire a refusé une demande de permis de construire pour l’implantation d’une usine de fabrication de laine de roche.
Avant de délivrer cet arrêté de refus, le maire avait publiquement exprimé son opposition au projet à plusieurs reprises, que ce soit lors de réunions publiques ou sur d’autres supports de communication. Son opposition était notoire et véhémente, un livre ayant même été publié par le maire pour manifester son profond desaccord.
En outre, dans un article de presse, le maire avait affirmé publiquement avoir » décidé de ne pas accorder le permis de construire « , alors que l’instruction de la demande de permis était encore en cours.
Pour terminer, l’édile avait un intérêt propre à l’échec du projet en tant que propriétaire de terres agricoles proches du terrain d’assiette du projet, affirmant dans un message publié sur un réseau social : « je connais bien le problème, je serai le premier voisin » et déclarant dans le journal local qu’il s’opposerait au permis en cas de pollution avérée « ne serait-ce que pour mon fils, qui débute son activité de vente de légumes ».
Le refus opposé au permis de construire a été attaqué par le pétitionnaire, qui a obtenu gain de cause en première instance, au motif de la méconnaissance du principe d’impartialité.
La Cour administrative d’appel de Douai a pour sa part apporté plus de nuance :
« D’une part, le principe d’impartialité, qui garantit aux administrés que toute autorité administrative, individuelle ou collégiale, est tenue de traiter leurs affaires sans préjugés ni partis pris, en s’abstenant de toute prise de position publique de nature à compromettre ce principe, doit être respecté durant l’intégralité de la procédure d’instruction et de délivrance d’un acte.
D’autre part, aux termes de l’article L.422-7 du code de l’urbanisme : » Si le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est intéressé au projet faisant l’objet de la demande de permis ou de la déclaration préalable, soit en son nom personnel, soit comme mandataire, le conseil municipal de la commune ou l’organe délibérant de l’établissement public désigne un autre de ses membres pour prendre la décision. « .
Il résulte de l’application combinée de cette disposition législative et de ce principe général du droit que l’impartialité qui s’impose à un exécutif local est méconnue s’il est démontré qu’il a un intérêt personnel à l’édiction de l’acte qui ne se confond pas avec l’intérêt général de la collectivité locale qu’il représente. »
En l’espère, la Cour a estimé qu’en dépit de ses prises de position publiques constantes en défaveur du projet, le maire avait toujours pris soin de rappeler les éléments objectifs, notamment sanitaires, au vu desquels sa décision devait être prise.
En outre, s’il n’avait pas dissimulé qu’il avait un intérêt propre à la non-réalisation du projet en raison de sa qualité de voisin proche du terrain d’assiette de l’usine et de l’activité de maraîchage de son fils, il a mis en avant des considérations écologiques, liées au risque de pollution de l’environnement.
🧑⚖️ Le principe : En conclusion, compte tenu de l’ampleur du projet et de son impact sur le territoire de la commune, le maire aurait, en prenant l’arrêté de refus attaqué, poursuivi un intérêt personnel, exclusif de l’intérêt général.
3 – Travaux sur construction existante inachevée
CAA Paris, 2 octobre 2024, n°2400362 : Lorsqu’une construction, en raison de son inachèvement, ne peut être regardée comme ayant été édifiée dans le respect du permis de construire obtenu et que celui-ci est périmé, le pétitionnaire qui envisage de poursuivre les travaux doit déposer une demande portant sur l’ensemble du bâtiment.
📔 Les faits : Une société avait obtenu un permis de construire en 1989. La construction, débutée en 1991, n’a pas été achevée. En 2021, la société a sollicité une déclaration préalable pour la pose de menuiseries et des travaux de ravalement de cette construction. Après que la mairie a retiré l’autorisation tacitement accordée, la société a saisi le Tribunal administratif de Melun puis la Cour administrative d’appel de Paris.
🧑⚖️ Le principe : La Cour administrative d’appel de Paris a estimé que dans le cas d’une construction inachevée, la demande de travaux devait porter non pas sur les seuls aménagements projetés mais doit régulariser l’ensemble de la construction.
⏭️ La juridiction a ainsi expressément étendu la fameuse jurisprudence « Thalamy » selon laquelle les travaux portant sur une construction irrégulière doivent avoir pour objet de régulariser la totalité de la construction : « Lorsqu’une construction, en raison de son inachèvement, ne peut être regardée comme ayant été édifiée dans le respect du permis de construire obtenu et que celui-ci est périmé, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment ».
⚡ Conséquences pour le service instructeur : Dans l’hypothèse où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne porte pas sur la totalité de la construction elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments qui doivent être soumis à son autorisation.
🛑 Toutefois, cette invitation a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuivre son projet mais n’a pas à précéder le refus que l’administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés.
😒 Cette assimilation faite par la Cour administrative d’appel de Paris entre construction illégale et construction inachevée parait toutefois discutable. Il serait intéressant que le Conseil d’État apporte son éclairage sur cette question.
4 – Permis de construire et OAP
CE, 18 novembre 2024, n°489066 : la compatibilité d’une autorisation d’urbanisme avec les OAP d’un PLU s’apprécie en procédant à une analyse globale
📔 Les faits : Un permis de construire a été accordé à une société d’HLM dans un secteur couvert par une OAP.
Dans l’objectif de renforcer « la mixité fonctionnelle à l’entrée du village et garantir la mise en oeuvre du projet communal dans les dix années à venir », l’OAP prévoyait qu’une part importante des surfaces de plancher aménagées dans le cadre du renouvellement potentiel des parcelles situées le long d’une voie devait permettre l’accueil d’activités de services.
Or, le projet portait sur la construction de logements, sans qu’une partie des surfaces du rez-de-chaussée ne permette l’accueil d’activités de services.
La question qui était posée au Conseil d’Etat était la suivante : Le projet est-il compatible avec l’OAP, au sens de l’article L.152-1 du Code de l’urbanisme (« L’exécution par toute personne publique ou privée de tous travaux (…) sont conformes au règlement et à ses documents graphiques. / Ces travaux ou opérations sont, en outre, compatibles, lorsqu’elles existent, avec les orientations d’aménagement et de programmation ») ?
Le Tribunal administratif de Lyon avait répondu par la négative et partiellement annulé le permis de construire.
🧑⚖️ Le principe : Le Conseil d’Etat a toutefois censuré cette position en estimant que le Tribunal était tenu de rechercher si les effets du projet devaient être regardés comme suffisants pour contrarier, par eux-mêmes, les objectifs de l’orientation d’aménagement et de programmation à l’échelle de la zone à laquelle cette orientation se rapportait. A défaut de suivre cette méthode de raisonnement, le tribunal a commis une erreur de droit.
⏭️ Désormais, pour apprécier la compatibilité d’un permis de construire avec une OAP, il faudra tenir des objectifs globaux poursuivis, à l’échelle de la totalité de la zone. Le rapport de compatibilité permet ainsi une appréciation particulièrement souple de la part des services instructeurs.
5 – Portée du certificat d’urbanisme
CE, 18 novembre 2024, n°476298 : Le Conseil d’État confirme l’importance et la portée des effets du certificat d’urbanisme en faisant bénéficier de la cristallisation des règles à la demande de permis de construire déposée, même de façon incomplète, dans le délai de 18 mois suivant la délivrance du certificat
🧑⚖️ Le principe : Il ne résulte pas des dispositions de l’article L. 410-1 du code de l’urbanisme qu’un permis de construire déposé dans le délai de dix-huit mois suivant la délivrance du certificat d’urbanisme ne puisse être complété, à peine de perte du droit à ce que la demande soit examinée au regard des dispositions d’urbanisme applicables à la date de ce certificat, qu’avant l’expiration de ce délai.
Ces décisions traduisent un mouvement jurisprudentiel vers une meilleure sécurisation juridique des procédures d’urbanisme, mais aussi vers plus d’exigence dans l’analyse des situations concrètes. Nos avocats experts en droit de l’urbanisme sont à votre disposition pour analyser l’impact de ces jurisprudences sur vos projets. Nous proposons des rendez-vous en présentiel ou en visioconférence, selon vos besoins. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur https://www.agn-avocats.fr/.
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